LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 13/17 LA VEUVE ANNE

De  nouveau le couple de Pierre et de Marie  engendre une petite fille le 24 septembre 1727 , les parents font preuve d’une belle originalité on l’appelant Marie. Comme les autres, il faudra lui accoler un surnom, ce sera peut être la Marie au Fleurisson, la Marie au Jean, la Marie à la Pelisson ou bien la Marie du moulin.

Les parents sont heureux.

Cela ne va guère durer car en ces temps la balance entre la vie et la mort oscille dangereusement. En février 1728 la maladie se met dans le foyer de Jean, le vent des ailes des moulins n’arrive pas à chasser les miasmes mortels, le 18 c’est la petite Marie qui rejoint l’ombre protectrice des murs de l’église et le 23 c’est son père qui dans la force de l’âge rend son âme à Dieu.

Anne Pelisson sa femme est atterrée et Pierre pleure son frère. Tous décident que la veuve restera à aider au moulin.

D’ailleurs le 2 mai elle assiste sa belle sœur dans son  nouvel accouchement, c’est long, c’est difficile, la parturiente a déjà quarante ans et malgré que le chemin soit  fait comme le dit l’adage le risque de problème est énorme.

Marie met son onzième enfant au monde, c’est une fille qu’on prénomme Anne. Elle est lasse de ses grossesses mais son mari lui n’est pas rassasié de son corps, elle en vient à se demander si une servante troussée de temps à autre ne serait pas la meilleure solution à sa tranquillité. Mais elle refoule cette idée car parfois malgré sa rudesse le Pierre lui procure des sensations étranges.

La vie continue au moulin, un aide assiste Pierre en attendant que son fils aîné puisse prendre en charge le deuxième moulin. Il n’a que quinze ans mais sa capacité précoce fera de lui un fier farinier.

D’ailleurs ses fils Pierre quinze ans et Jean douze ans sont sa fierté, il faudra bien les marier pour agrandir le patrimoine, acheter des terres et s’émanciper par le travail. Cela n’est guère facile il y a très peu de numéraire qui circule et les terres restent obstinément dans les mains des mêmes possesseurs.

Mais il ne sera pas dit que la meunière n’est plus femme. Un peu plus d’un an après la maternité qu’elle croyait bien être la dernière, elle est encore prise.

Un matin la meunière est furibonde et elle entre en colère dans le moulin, Pierre la regarde avec stupeur et pour un peu en lâcherait le sac de farine qu’il a sur le dos.

Elle lui dit avec véhémence qu’elle ne les a plus et qu’elle est sans doute encore grosse. C’est une catastrophe et désormais il ne la touchera plus.

Cette chanson Pierre l’a déjà entendue et se dit cause toujours , je te prendrai quand je le désirerai.

La grossesse est pénible, Marie met au monde François le 18 mai 1730, cette fois elle espère que le moule sera cassé, 42 ans c’est assez.

Toutefois elle n’aura pas à l’élever trois jours plus tard le petit est en terre, elle n’a pas eu le temps de l’aimer, elle n’a pas eu le temps de l’allaiter. C’est un petit ange qui par son baptême n’aura pas à se promener dans les limbes pour l’éternité.

Maintenant le problème qui se pose au moulin c’était la présence de la veuve.

Anne faisait son travail convenablement à n’en point douter, mais sa sensualité naturelle affole la gente masculine, Pierre le fils maintenant âgé de 18 ans se verrait bien  faire ses premières armes dans les bras de sa tante. Cette veuve lascive dans la plénitude de ses vingt deux ans se morfond dans la solitude de sa couche et bien involontairement attire les regards concupiscents du jeune farinier monté en graines.

Pierre le père se verrait aussi en consolateur des âmes et des corps et virevolte autour de sa belle sœur comme une abeille auprès de sa ruche.

Marie qui si elle acceptait que son mari encorne son contrat de fidélité ne souhaitait pas qu’il instaure son infidélité entre les cuisses de quelqu’un de la famille ou du personnel des moulins. Elle fait donc en sorte que sa belle sœur Anne s’accordaille avec un laboureur à bras du village.

Le 15 janvier 1731 c’est à la satisfaction de tous que la belle Anne se remarie avec Gérard Moinard, elle quitte donc le moulin et n’apparaîtra plus que de loin en loin à la Roulière.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 12/17, UN NOUVEAU MOULIN

Maintenant que les garçons ont grandi il n’y a plus besoin d’engager un garçon meunier. Ils apprennent le métier avec le père et prennent des forces en même temps que des taloches et des coups de pieds de galoches au cul.

A cette même époque une affaire d’une extrême importance occupe les fariniers, Jean le  cadet de la famille qui travaille  pour son frère arrive à l’âge parfait pour se marier

Le bougre s’est entiché d’une sale drôlesse délurée et avant qu’une catastrophe n’arrive, on en conviendrait presque à vouloir les marier.

Seulement la dulcinée est fille de rien, le père n’est qu’un va-nu-pieds de journalier, certes considéré et jamais laissé de coté mais ne possédant que très peu de journaux de terre. La mésalliance est certaine pour le frère d’un farinier, mais Jean envoûté par ses charmes s’en moque comme d’un moulin.

Oui la belle Anne a de quoi séduire, la générosité de ses hanches fait présumer une bonne donneuse d’enfants et son altière poitrine outre le fait qu’elle doit rendre fou le jeune Jean, nourrira avec certitude une flopée de drôles.

Bref elle a charmé le farinier et les négociations peuvent commencer, un matin alors que Pierre et son frère changent l’orientation des ailes du moulin en s’attelant à la queue, Nicolas Pelisson se présente, c’est le père de la petite. Le Jean n’en mène pas large, la situation va être tendue. Le père Pelisson n’est pas seul et cela a son importance, l’homme qui est à coté de lui n’est pas n’importe qui. Ce n’est pas un gagne misère, ni un labourou à bras, non il a les mains blanches, la mine soignée, des souliers et des collants. C’est Nicolas Depré il n’est rien moins que procureur fiscal du comté de Benon.

Fleurisson a sa vue redevient humble, retourne au peuple, frôle la plèbe, il est toute petitesse devant cet officier bourgeois sentant la noblesse.

D’ailleurs c’est lui qui prend la parole, bizarrement il se présente comme un cousin de Pelisson. Comment une famille si vile peut être apparentée avec cette hauteur en dentelle.

Les choses vont finalement aller très vite, en échange de cette main, le procureur fera avoir le fermage d’un autre moulin à la famille. Pierre pour ce moulin proche du sien aurait vendu ses filles et sûrement donné sa femme. On se serre la main cela vaut acceptation, on passera chez le notaire Pierre Chaurray.

Le Jean sera toujours journalier mais sera gagé par son frère pour le second moulin, l’affaire est bonne pour tout le monde. De l’autre coté du chemin la famille Moisnet peste contre cet accapareur de la Vendée, ce presque étranger au pays.

Le 17 juin 1726 c’est la fête au moulin. Pierre se moque un peu de la fête, il observe avec satisfaction le deuxième moulin qui va lui permettre de franchir un cap important dans la hiérarchie sociale et paysanne du comté de Benon.

Jean Fleurisson le cadet, le dernier de la famille a être né en dehors de l’Aunis est donc lié au Pelisson et reconnaissant à son frère pour la belle situation qui se fait jour pour lui.

En face les Moisnet en crèvent de jalousie, Pierre doit même interdire à sa femme de fréquenter la Moisnete et ses enfants de franchir le chemin pour aller baguenauder dans les prés de la Galipotte où dans la forêt qui non loin étend ses sombres branchages.

Le 22 septembre 1727 le curé Lunéau a exigé que tous viennent à la messe, c’est un lundi et personne à la vérité ne désire venir à l’église. Mais il s’apprête à officier une messe que lui a commandée la princesse de Talmont, comtesse de Benon en l’honneur des saints anges gardiens. Cette office sera célébré pendant 50 ans.

En attendant l’église saint Pierre est remplie, on a balayé avec soin les gravats des travaux, le peuple est là avec l’élite qui les commande. La princesse n’est pas là mais ses représentants trônent en majesté a sa place sur les bancs de devant.

Pierre Fleurisson, Jean son frère, Jean et Pierre ses fils, sa femme occupent leur banc. Le chef de famille est assez fier de voir son nom gravé sur une petite plaque qui lui réserve par baillette l’usage exclusif de ce banc. C’est une réussite sociale qui le distingue de la vile cohorte des charbonniers, des journaliers et des laboureurs à bras.

Jeanne Fleurisson veuve Ancelin est de l’autre coté avec sa fille Élisabeth, une splendeur qui attire les convoitises. Son oncle Pierre la surveille de loin mais les cousins en rêvent la nuit. Pierre le jeune du haut de ses quatorze ans se verrait volontiers dans le creux des reins de sa cousine. Un rêve un peu bizarre qu’il a fait l’autre nuit, lui était dédié. Il en a un peu honte et son esprit est taraudé par l’idée de le dire ou non au curé.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 11/17, 7 MEUNIERS, 7 TISSERANDS, 7 TAILLEURS FONT 21 VOLEURS

En mars 1721 la famille est touchée par un drame, Marie la sœur de Pierre est au plus mal, elle est rongée par une maladie qui la fait tousser, cracher du sang, elle qui était bien forte n’est plus que brindille.

Marie Fleurissonne malgré son gros ventre fait chaque jour le trajet pour aller chez sa belle sœur. Elle se fatigue à cette tache qui est d’ailleurs pour elle un vrai sacerdoce.

Tous les jours elle doit laver celle qui est presque sa sœur, ce n’est pas le mari qui va nettoyer la merde de sa femme et leur petite âgée de dix ans en est bien incapable, alors qui d’autre ?

En outre afin que la moribonde puisse sereinement mourir ils ont pris leur petit dernier au moulin. Ce n’est qu’un enfant de quatre ans mais une personne de plus pour la déjà très occupée meunière.

Le 28 mars âgée de 38 ans Marie Fleurisson épouse Moisnet décède en son domicile. Pierre est atterré, il aimait cette sœur qu’il prenait facilement pour confidente, et ce malgré qu’elle se fut mésalliée avec ce journalier sans terre et sans avenir. D’ailleurs il n’avait jamais compris pourquoi son père avait accepté une telle chose. Mais il est vrai que Marie était veuve et libre de son corps. Les ailes du moulin sont arrêtées, désentoilées et mise en croix. On ne moud pas de la farine avec un mort dans la maison, cela porterait malheur

Le lendemain on l’enterre, il faut batailler car le curé Luneau veut la jeter dans un trou dans le nouveau cimetière de la Grenouillière. Pierre se jette dans la bataille, avec toutes les aumônes qu’il donne , sa sœur peut bien être ensevelie dans le vieux cimetière sous la protection rapprochée de l’église Saint Pierre.

De ce fait la cohorte des neveux et nièces hantera le moulin et sa table mise, mais rien n’est gratuit et les plus vieux aideront aux travaux sous la direction de leur tante.

En juin 1721 l’efficacité de l’avorteuse se révèle nulle car il vient un garçon à Marie qu’on prénomme François. Pierre songe déjà à prendre un deuxième moulin pour que tous ses garçons soient meuniers comme lui. Le parrain sera Louis Moisnet le veuf, ainsi il pourra croire qu’il est encore implanté dans la fratrie.

En août c’est encore un décès pour la famille mais n’en parlons pas ce n’est qu’un enfant femelle de quatre ans, une place dans un lit se libère ainsi.

Le corps de Marie est un véritable sablier que l’on retourne, le temps et les grossesses s’écoulent, Nicolas en 1723, Jean Baptiste en 1726, Anne en 1728 et pour conclure François en 1730.

Heureusement François le premier est mort à 9 mois en 1722 et le second n’a vécu que deux jours.

Cela fait une belle famille tout de même, Marie maintenant est tranquille, les menstrues ont disparu c’est une seconde vie pour elle. Elle a porté 12 fois, son corps est fatigué. Mais qu’importe son physique elle éprouve tout de même une immense satisfaction de la vie.

Elle est meunière et fière de l’être, si ils ne sont pas riches n’y opulents, ils ont acquis une certaine aisance. Certes au prix d’un travail constant et d’une dureté incroyable. Les sacs énormes que portent son mari, les heures passées à contrôler ce foutu vent capricieux, à vérifier ses meules. A tempérer, à se faire respecter des paysans qui suspectent Pierre d’être un voleur.

Puis il y a le reste, même si ils ne sont pas paysans, ils ont des bêtes à s’occuper, une mule, un âne, des cochons et bien sûr un poulailler bien rempli.

Car il faut savoir que le moulin tient presque table ouverte toute la journée, les paysans qui amènent leurs grains, ne les lâchent pas des yeux de peur qu’on ne les vole sur les mesures. Alors ils sont là dans les jambes de Pierre à toujours vérifier.

Mais le ménage est bien rodé, chacun son rôle. Marie se charge d’éloigner les trop curieux, alors un petit verre, une collation, une soupe, un coup de blanche. Alors Pierre peut gruger l’innocent à qui Marie fait les yeux doux. C’est une question de dosage, le meunier doit être un peu voleur si il veut s’engraisser mais point trop afin que les finauds ne se doutent de rien.

Mais que croient ces imbéciles, souvent le transport est fait par le meunier qui lui paye un aide pour quérir les fameux grains. En principe le meunier prélève un boisseau par hectolitre mais un meunier habile fait couler quelques kilos de farine entre la caisse de réception et le bâti de la meule. Pierre aussi arrête la meule avant qu’elle ne finisse le grain de la trémie et récupère ainsi le surplus.

Ne dit on pas, sept meuniers, sept tisserands, sept tailleurs font 21 voleurs.

Mais en général cela est un peu un jeu, tous ne surveillent pas et comprennent que dans la vie tout se paye. Les repas pris au moulin, les marchandises que les meuniers transportent gratuitement au marché tout cela a finalement un prix.

Mais si Pierre n’a pas une mauvaise réputation et est considéré comme entrant dans la moyenne d’une honnêteté raisonnable, il n’en est pas de même pour sa réputation de coureur de jupons.

Les pères sont souvent inquiets d’envoyer leurs filles au moulin, ils y sont parfois obligés lorsque les gros travaux sont en cours.

Pierre d’ailleurs lorsqu’il s’est un peu chauffé avec quelques comparses clame qu’il a dépucelé plus d’une drôlesse et que les maris ne le remercient pas assez de cet apprentissage. Marie soulève alors les épaules de tant de jactance .

Mais elle a quand même un jour surpris son homme le cul à l’air qui besognait une servante de la métairie de Linozeau. Cela les avaient certes interrompus mais Pierre n’en avait pas été plus troublé que cela, la chose lui paraissait normale. L’impudente avait remonté ses jupons et n’était plus jamais réapparue à sa connaissance au moulin.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 10/17, LE COMTÉ DE BENON

Benon est un comté depuis des temps immémoriaux au moins depuis la construction du château en 1096, il comporte les baronnies de Mauzé, Poléon, Surgères, Nuaillé.

Le comté appartient à la famille de la Trémoille et présentement le comte actuel se nomme Charles Bretagne de la Trémoille, c’est un très haut personnage qui fréquente la cour de Versailles et qui n’a jamais été vu à Benon.

Par contre ici beaucoup de choses lui appartiennent, on lui doit hommage mais surtout redevance. C’est pour cela que notre village recèle bons nombres d’officiers, chargés des biens de ces hauts personnages. Les notaires, les greffiers, les arpenteurs, les régisseurs, les gardes portent la tête haute pendant que le petit peuple doit la baisser.

Pierre qui portant à l’échine souple se cabre parfois des prétentions de ces percepteurs du travail des autres.

Certes son moulin ne lui appartient pas mais le fait qu’il soit greffé de banalité fait qu’il a des paysans qui viennent faire moudre leur grain en permanence.

Lui pour se rémunérer, prend une part des grains et le seigneur une autre en temps que possesseur.

En outre le paysan ne peut choisir son moulin et doit aller où le droit l’y oblige.

Dans le coin les moulins sont légions et signalent aux passants comme les clochers des églises la route à suivre. Rien qu’à la Roulière il y en a quatre à vent et un à eau. Un peu plus haut en remontant au bourg il y en a un autre qui se nomme le moulin des jards.

Mais cela est encore insuffisant car il y a le moulin de l’étang et les trois moulins de l’abbaye. L’un à eau dans l’abbaye elle même et deux situés sur les hauteurs du chemin allant à Saint Sauveur de Nuaillé.

Pierre compte sur ses doigts cela fait huit moulins, rien qu’à Benon, six qui utilisent le vent et deux l’eau de la Roulière et du ruisseau de l’abbaye. Si les moulins à vent sont utilisés toute l’année, ceux à eaux sont soumis aux caprices des sécheresses estivales. D’ailleurs c’est bien simple il y en a plusieurs dans chaque paroisse, leurs ailes comme le clocher des églises indiquent à coup sûr les directions. La richesse de Benon vient à l’évidence de sa vaste forêt, les coupes bien organisées sont une grande source de richesse. Le charbon de bois réputé est aussi notablement rémunérateur. Une grande partie de la population du village est liée à cette immense sylve.

Pierre sans qu’il sache réellement pourquoi éprouve une répulsion pour  les charbonniers, ces hommes des bois qu’il juge médiocrement. Mais il fait toutefois une exception comme le sent avec son instinct féminin son épouse

Régulièrement il va à la Grenouillère où sont logés les gueules noires, il pénètre dans une sorte de quereu près du nouveau cimetière et là une drôlesse l’attend. Elle est jeune, pas entièrement désintéressée mais il s’en moque car il croit qu’il a l’exclusivité de son ventre juvénile.

Dans le coin on en rigole, la chose est supposée sinon sue, le cossu farinier est victime de ses sens comme d’ailleurs beaucoup d’autres.

Ces visiteurs ont un point commun, c’est celui de croire qu’ils sont les uniques bénéficiaires de cette gamine au cul aussi sale que la goule. La petite garce au visage  maculé de charbon de bois est moitié femme moitié enfant. Une robe noire de crasse et déchirée, une chemise autrefois blanche mais maintenant teintée des aléas de la vie constitue son unique viatique vestimentaire. La petite est légère sans doute mais est mue par un sens poussé des affaires. Elle fait croire aux hommes en manque de femme qu’elle ne remonte son jupon que pour eux. Elle ne répugne à rien du moment que vous arrivez le gousset plein. Pierre comme chaque fois comme un couillon tend sa pièce. La drôlesse soulève son jupon crasseux et offre ses charmes. L’affaire faite le meunier se reculotte et la petite d’une brassée d’herbe nettoie ses frêles cuisses.  Le village est petit et le commerce de la charbonnière est connu de tous. C’est bien un relent de scandale qui anime les femmes du village et plusieurs qui croient que leur mari s’encanaillent là bas  parle d’aller lui tanner le cuir des fesses avec un battoir à laver. Les mauvaises langues parlent même de visiteurs vêtus d’aube noire . C’est surement faire injure au cher curé et aux bons moines de l’abbaye. Finalement la garce gardera son cul lisse, les jeunes hommes continueront à y laisser leur pucelage entre ses vals, les vieux y dépenseront l’argent de leur tabac et les autres croiront en leur vanité d’avoir conquis une jeunette pour leur exclusivité.

Marie Fleurissonne se sent un peu soulagée, sa dernière grossesse lui a causé beaucoup de dégâts et le délai de retour de son mari entre ses cuisses a été plus long que les simples relevailles.

Un peu de répit donc dans les grossesses, mais 6 enfants gravitent dans ses jambes, l’aînée Marie âgée de 10 ans l’aide beaucoup, mais les grosses taches lui reviennent encore.

De plus ce n’est pas la petite qui lui évite la corvée de la tétée, les deux dernières lui tirent dessus comme un via sur des pis.

Mais le malheur arrive de nouveau, fin 1720 elle est encore prise, elle en parle à Jeanne sa belle sœur, cette dernière connaît une espèce de sorcière au hameau de Rioux qui a la réputation de pouvoir.

C’est donc une sacrée course qu’elles doivent faire toutes les deux, Rioux est une annexe de la paroisse du Gué d’Alleré. Elles doivent se faire discrètes car leur présence là bas n’est en rien justifiable. Elles sont aussi étrangères que le serait des négresses où des moresques. Au loin elles voient les ailes du moulin David, puis longeant la Roulière elles arrivent chez la faiseuse d’ange.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 9/17, GROSSESSES PAS TOUJOURS DÉSIRÉES

Le 23 juin 1716 on amena le petit Antoine au cimetière, rien que de très simple, un drap de lin pour linceul, un trou et quelques pelletées de terre.On allait pas se mettre en frais pour un enfant qui n’avait pas vécu. Pierre avait été prévenant,le petit avait été baptisé avant l’issue fatale. L’âme d’Antoine serait préservée et la réputation des parents aussi

Pierre retourna à sa meule aussitôt, et Marie en soignant ses bêtes réalisa qu’elle portait de nouveau.

Peut être que Pierre va traîner la gueuse à la Grenouillère de temps en temps mais il profite également du ventre de sa femme tous les soirs. C’est un don en soit  que le bon Dieu lui accorde. Pour Pierre c’est du plaisir, pour Marie cela s’appelle le devoir conjugal.

Les grossesses pour cette dernière sont en somme des périodes de repos à l’impétuosité de son mari, encore qu’il faille résister à la tentation qu’il aurait de vouloir explorer d’autres voies.

Jean arriva fin 1716, contrairement au précédent rejeton il est magnifique, les mauvaises langues disent même que puisqu’on est sûr de la mère la différence viendrait peut être du père. Commérage de lavoir, Marie droite dans ses jupons ne les relevait que forcée par son mari.

Ce qui est le plus bizarre c’est que Pierre s’intéresse un instant à cet être emmailloté, qui le regarde curieusement. Ce fut fugace et rapide mais Marie crut le voir sourire. Son mari ne s’ intéressant qu’à la marche de son moulin elle en fut très surprise.

Pierre fut  fier d’obtenir que la marraine soit Marie Henriette Godineau, cette jeune personne qui leur fait honneur est la fille d’un marchand mais aussi la petite fille d’une Marie Poirel rattachée à la famille d’Hannibal Poirel celui présent à son mariage. Pour Pierre cela confirme son importance propre au sein de la société du comté de  Benon. Marie est plus perplexe et ne sait quoi en penser car cette famille n’est après tout composée que de nouveaux convertis.

Tellement peu sûre,  Marie se confia au curé et lui demanda si le baptême serait légal aux yeux de l’église malgré que la marraine soit née d’un mariage clandestin.

Rosnay le vicaire la rassura et en compagnie de Pierre Néraudeau un gras marchand; l’héritière  signa d’une belle plume le registre paroissial.

Marie la Fleurissonne après, Jean fait le nécessaire pour ne plus avoir d’enfant. De façon classique elle prolonge son allaitement, il paraît que c’est efficace. Puis à l’église elle prie et encore prie pour qu’elle ne soit pas prise.

Un jour il lui semble même que la statue de la vierge à l’enfant dans l’église Saint Pierre la regarde d’un drôle d’air après sa supplique. Elle ne sait si elle sera entendue mais au moins elle aura essayé d’interférer sur la nature.

Puis il faut dire que ce désir de ne plus avoir d’enfantslui coupe toutes ses envies de femme. Non pas que Pierre se préoccupe de cela mais un jour il lui fait le reproche d’être sèche comme une vieille noix. Elle a le malheur de lui répondre, tu peux aller voir ailleurs. Une torgnole et un c’est déjà fait, concluent la soirée, Pierre range ses affutiaux et quitte la chambre commune.

Marie a un peu peur d’être répudiée mais une querelle de couple n’occasionne jamais ce genre de désagrément. Le lendemain, tout rentre dans l’ordre.

Au bout de quatre mois Marie est remplie à nouveau, cette fois elle hurle, tempête et se dispute avec Pierre. Cette histoire d’allaitement c’est des conneries, elle en a parlé à Jeanne sa belle sœur. Le couple fait comme cela, Jeanne dit que son homme saute de la carriole en marche.

Pour les autres grossesses elle avait pu travailler jusqu’au bout,  là après  six mois elle ne peut plus se traîner. On dirait une grosse laitière et son horizon se restreint au moulin. Elle ne peut même plus aller à la messe . Les ailes qui tournent lui donne la nausée, foutu travail qu’être femme.

Au vrai elle manque d’en crever de cette aventure, dans le ventre elle en a deux.

L’accouchement dure des heures, elle souffre, va en mourir, la maisonnée s’inquiète. Une première fille, manquait plus que cela, le second bébé ne vient pas, la matrone fait se qu’elle peut, puis le miracle arrive, un dernier effort, tout lâche, le bébé, le placenta et les chairs. La douleur est intolérable, elle est exsangue. Le deuxième est encore une fille mais elles font pâle figure, petites, fripées, elles ressemblent a des petits chats qu’on jette le long des murs pour s’en débarrasser.

Mais curieusement elles ne crèvent pas et la mère non plus, la félicité règne au moulin.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 8/17 , LA FONTAINE MIRACULEUSE DE LA GRACE DIEU

Marie et Pierre qui ne veulent pas l’avouer sont un peu perdus à ce moment là.

Ils ont un nouveau roi qui se nomment Louis XV et les ailes du moulin tournent toujours de la même façon.

Ces dernières années ont été dures pour le royaume, les guerres ont épuisé les âmes et les choses. Ici on y peut rien mais peut être qu’un jour…..

On décide tout de même de boire au nouveau et de boire au pourrissement de l’ancien.

Même Marie en boit une lichette, cela la remontera un peu. La servante va l’aider à retourner à la maison. Après tout si ce petit roi vit autant que son aïeul, il y a des chances pour qu’il ne trinque pas au successeur.

Le 12 septembre 1715 Marie se délivre d’un petit Antoine, ce sont les mêmes femmes qui l’assistent, le petit est un peu chat croc et l’on s’interroge pour savoir si il va vivre.

Le père n’est pas là, d’ailleurs il s’absente souvent. Marie sa sœur a entendu dire qu’on voyait traîner le meunier près de la Grenouillère. D’autres sont mêmes plus précis sur le sens des visites dans le quartier des charbonniers.

Enfin il arrive, la mine des mauvais jours, il commence à se lasser des grossesses à répétition de sa femme, deux filles et deux garçons en 5 ans, mon Dieu comme elle y va .

 l’enfant est faible et ne vivra surement pas , c’est presque un soulagement pour le père qui s’en veut malgré tout d’avoir de telles pensées, mais une épreuve cruelle pour Marie. Marie pourtant croit  à sa survie et depuis qu’Antoine est né, elle se démène comme une diablesse pour qu’enfin une étincelle de vie anime ce bout de chair qui se refuse à grossir et à s’épanouir.

Marie se rend même à la source de la Grâce Dieu avec son bébé,.

Un matin sans prévenir personne, elle enveloppe son fils dans sa grande pèlerine et s’en va, elle a deux choix. Celui de s’engager par Malpoigne et rejoindre le bois de l’abbaye et d’y pénétrer. Mais elle redoute de tomber sur le garde ou sur un moine.

Alors elle se résout à passer par le village, au risque d’alerter le monde et que son mari apprenne sa démarche divine. Mais elle se ravise, prend le chemin du fief blanc et plonge vers la Cintrée. Elle ne croise personne hormis un roulier avec son chargement de charbon de bois qui sûrement se dirige vers port Bertrand. L’endroit, elle le connaît parfaitement bien, il y a des pèlerinages fréquents, Pentecôte, Trinité, Fête Dieu, Assomption, Nativité de la vierge, cela attire une foule de gens venus de la France entière. Plusieurs milliers dit-on.

Cette histoire merveilleuse remonte à la fondation de l’abbaye, cela se perd dans la nuit des temps mais les plus érudits disent que le domestique de Saint Bernard qui était malade s’y est trempé et en est revenu guéri. Depuis on affirme que bons nombres d’infirmes y ont retrouvé la santé.

Ceux qui ont été guéris on ne les connaît guère mais enfin puisqu’on l’affirme c’est que cette fontaine est miraculeuse.

Le vieux Jean racontait d’ailleurs qu’on ne pouvait déplacer le timbre où coulait l’eau divine et que même avec plusieurs paires de bœufs on y arriverait pas. D’autres encore plus sûr, croyaient savoir qu’à chaque fois qu’il avait été déplacé, il était revenu à sa place.

Marie se moque de toutes ces légendes et il est même vraisemblable que des dévotions païennes ont eu lieu dans des temps immémoriaux.

Sur les lieux il y a déjà une pauvresse en mal d’enfant, une paysanne au ventre sec qui se désespère de ne pas enfanter. La source bonne enfant n’a pas de spécificité, elle fait tout, soigne tout. Maladie, stérilité, infirmité, la bonne mère n’est pas regardante, après avoir arrosé le cul de la paysanne en mal de drôle elle accueille le petit être.

Marie qui a déshabillé le petit le trempe dans le timbre, l’eau est glacée, le petit hurle, si cela ne le guérit pas cela va le tuer.

Le rite terminé, madame Fleurisson rentre au moulin. Pierre est là dans sa blouse blanche menaçant, il n’aime pas les bondieuseries, les niaiseries.

La tempête prend forme et Marie devant le garçon meunier et sa belle sœur se prend une retentissante gifle. Cela fouaille son honneur, Pierre aurait agi en toute intimité qu’elle ne se serait peut être pas indignée. Mais là c’est comme si il la jetait nue au milieu du chemin ou qu’il l’exposait au carcan sur la place.

Entre eux deux quelque chose s’était brisée.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 7/17, LE FONDATEUR

Le vieux Jean

Marie avait épousé Pierre mais aussi épousé Jean le père . Son statut de meunière elle le doit au cacochyme qui traîne maintenant dans ses jambes, comme si il avait mandat de la surveiller. Garde moulin et garde chiourme, qu’il est devenu le fondateur. Plus apte à grand chose, elle a l’impression qu’il passe son temps à bâfrer et a regarder ses jupons. Combien lui reste t ‘il d’années à vivre, quel age a t ‘il d’ailleurs ce Vendéen expatrié en Aunis.

A vrai dire il n’est pas si vieux, sa peau parcheminée n’est pas révélatrice de son age réel et sa boiterie ne correspond pas aux décennies qu’il a pu vivre.

Non depuis la mort de sa troisième femme et l’attaque qui l’a terrassé, il n’est que l’ombre de lui même. Il se sait bon à rien et sait que sa vie s’écoule comme du sable dans une main et que le jour de son jugement dernier approche comme un nuage par grand vent.

Il est né semble t’ il pendant les événements de la fronde lors de la jeunesse de notre grand roi Louis le divin quatorzième. Cela lui fait soixante ans, Marie se dit qu’elle va devoir le supporter un moment et qu’elle sera fanée comme un coquelicot lorsqu’elle pourra sans crainte faire toilette dans sa propre maison.

Un jour que son mari était à la foire de Courçon, que son beau frère flemmardait et papillonnait au cul de quelques journalières elle se dit que sa grasse beauté féminine s’exalterait mieux après une salvatrice toilette.

Elle eut à peine le temps de libérer sa poitrine qu’elle entrevit une paire d’yeux qui la scrutait et qui l’aidait à se déshabiller. Elle se rhabilla en hâte et explosa de colère, son beau père était  un vicelard qui se rinçait la vue.

Le soir elle se plaignit à son mari, éructa, cria, pleura. Pierre s’expliqua avec son père, ce fut orageux, les deux hommes étaient entiers et colériques.

Le lendemain le vieux avec son maigre baluchon se décida à repartir à l’île d’Elle. Pierre ne put l’en empêcher, il craignait maintenant pour son Moulin. Le propriétaire voudrait-il lui confier sans la présence de l’ancêtre.

Pour Marie ce fut la délivrance, il ne lui restait  dans les jambes que Jean son beau frère âgé de seize ans.

Début mars 1712 un drôle de gars parlant comme son beau père et comme son mari autrefois se présenta devant Marie.

C’est un falin de Nicolas Fleurisson l’oncle de Pierre, il lui annonce que le vieux est mort dans la journée du 4 mars et qu’il a été enterré le lendemain.

Son mari est un peu peiné mais le marque que très peu, il est chef de famille désormais .

L’année suivante le 17 mai 1713 c’est la liesse au moulin, Pierre a un fils, c’est bien évidemment un nouveau Pierre qui vagit sur le ventre meurtri de sa mère.

Pour un peu on sonnerait le tocsin, le fils du farinier de la Roulière a un héritier, c’est un peu comme une naissance royale mais en plus modeste, quoi qu’en dise le père.

Il saute partout, il embrasse tout le monde, paye à boire à tous ceux qui passent.

Pourvu qu’il vive.

C’est Pierre Gaucher qui a l’honneur d’être parrain, un fils de farinier ne doit avoir comme parrain qu’un farinier, pour la marraine on se contentera de la fille Rouault. La Jeanne qui peut être pourrait se lier à Jean emmènera le divin enfant sous les fonds baptismaux.

Dès lors les maternités s’enchaineront.

En septembre 1715, Il fait chaud, Marie a les jambes gonflées, elle sait qu’elle approche du terme. Elle a vaguement calculé; mais son corps ne trompe pas. Comme chaque matin elle va nourrir ses volailles, ils en font une grande consommation au moulin car certains clients restent manger pendant que les meules écrasent leur grain.

Soudain elle entend le tocsin, lève la tête et quitte précipitamment ses bêtes pour rejoindre les hommes.

Pierre ne peut quitter son ouvrage, mais avec Jean de la métairie du Linozeau il passe en revue ce qui à pu arriver.

C’est Jean le frère qui ira aux nouvelles, pour une fois que ce feignant courrait un peu.

Tous attendent son retour avec impatience mais déjà on interroge des villageois qui viennent de quitter le bourg.

  • C’est le roi, c’est le roi

  • Quoi le roi ?

  • Bah il vient de mourir

  • Non de Dieu

  • Enfin il est crevé

  • L e roi est mort c’est donc qu’on en a un autre de nouveau

  • C’est sûrement son fils

  • Mais non pauvre idiote son fils est mort

  • Alors cela sera les suivants

  • Pour sur que non ils sont morts aussi

  • J’espère que c’est pas un de ses bâtards qui va ramasser sa couronne.

Jean quand il revient,  a plus de précisions car le curé et le garde du château ont plein leur bouche de détails.

La saloperie est morte le 1er septembre dans d’atroce souffrance, c’est en expiation de tous les petits qu’il a fait mourir pendant son long règne.

Il paraît qu’il avait une jambe pourrie, oui comme sa fin de règne.

C’est son arrière petit fils qui est roi maintenant, mais il n’a que 5 ans, c’est une horreur, Philippe d’Orléans le nouveau régent est un débauché qui plus est fils de pédéraste.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 6/17, LA CONTINUATION DE LA RACE

Une première naissance

Le 31 août 1711, le hameau de la Roulière est en émoi, la Fleurissonne va accoucher.

Le moulin est à l’arrêt comme en attente de l’événement. Alors qu’elle nourrit ses poules Marie a perdu les eaux. C’est un peu la panique, la matrone habite au bourg et les belles sœurs sont on ne sait où au diable.

Marie se demande si elle ne va pas lâcher son petit en la seule présence de la petite bonne. Pierre tourne en rond comme un chien en chaîne. C’est une chose qu’il ne peut maîtriser et ne pas maîtriser il n’aime pas cela alors il hurle et tempête comme si le garçon meunier y pouvait quelque chose.

Enfin la matrone arrive elle est aussi appelée femme qui aide, mère mitaine, bonne mère, ventrière ou bien sage femme. Elle est de préférence une femme âgée, disponible, ayant eut une nombreuse progéniture.

Elle doit être agréée par le curé car elle peut administrer les serments du baptême en cas de danger de mort de l’enfant.

Elle doit être aussi agréée par la communauté paysanne.

Présente à tous les stades de la vie, elle pratique souvent la toilette des morts.

Aucune connaissance particulière n’est exigée, elle a simplement la réputation d’avoir réussi quelques accouchements sans problème.

La vieille fait calfeutrer les entrées afin qu’aucun esprit mauvais ne pénètre, nous sommes en aout mais elle exige un feu la chaleur est torride, Marie transpire sous ses vêtements qu’elle a gardé. Ce n’est pas parce qu’on accouche que l’on doit montrer sa nudité.

Le cierge de la chandeleur est allumé est une parente a amené la ceinture de la vierge.

La parturiente est assise dans son lit bien calée par des oreillers, l’accoucheuse en habituée ouvre les cuisses de Marie. Cette dernière sursaute à cette intrusion intime mais sait qu’elle doit se laisser faire si elle ne veut pas accoucher seule comme une louve des bois. De ses doigts goures aux ongles sales de paysanne qui revient du champs, elle fouaille l’intimité de la meunière. Son avis vaut certitude, cela ne sera pas long le chemin est fait et l’enfant bien placé.

La peur envahit toutefois Marie, saura t’elle faire, ne souffrira t ‘elle pas trop, un vent de panique la parcours. La vieille a pris son ouvrage et s’assoie à la tête du lit, attendre et encore attendre, les contractions se rapprochent, la douleur est intense. La matrone à la chandelle repart inspecter l’avancement des travaux. L’enfant est presque là, la chevelure noir du bébé se confond avec la toison de sa mère, pousse et pousse encore, il est là, ou plutôt elle est là car Marie donne naissance à une fille, la ventrière coupe le cordon à raz, si cela avait été un garçon elle aurait coupé à la longueur du sexe.

Puis elle allonge les tétons du bébé afin qu’elle devienne une bonne nourricière. La drôlesse est enfin lavée avec un mélange de beurre et d’eau chaude et d’eau de vie, puis on la frictionne avec du vinaigre et du vin. Elle est enfin emmaillotée et peut rester ainsi dans sa merde un bon moment.

Pierre mécontent délaisse ce futur embêtement, paye avec un poulet et un lapin, la peine de la sage femme et s’en retourne à son labeur.

Marie exsangue pleure de n’avoir pas donné un garçon à son mari, elle se promet de faire mieux la prochaine fois. Maintenant il faut accomplir le rituel du baptême se dépêcher car en ces temps la mort rode sur les petites âmes,  elle se prénommera Marie comme sa mère, le parrain est Nicolas Chaigneau marchand et la marraine Gabrielle Brebion la femme de Jacques Allard.

Ce fut assez cocasse de persuader le grand père Jean de prendre la femme d’un charbonnier pour marraine, il tenait cette catégorie de travailleurs pour des bandits de grand chemin.

Marie qui ne peut se rendre au baptême pour cause de relevailles se dit que la religion est un peu bizarre. Tout d’abord l’on encense la vierge Marie, une femme qui a conçu un enfant sans faire commerce amoureux et  ensuite on déclare impure les femmes qui en ont fait un avec leur époux. Quarante jours sans messe, sans trop sortir de ce moulin qui maintenant l’obsède et bien sûr sans que son mari ne lui susurre des cochonneries aux oreilles.

D’ailleurs le gaillard tiendra t’ il ce pari fou de ne pas toucher sa femme pendant  cette longue période,  considèrera t’il à l’instar des dogmes chrétien que sa Marie est impure?

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 1/16, LES ORIGINES

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 2/16, L’ANCÊTRE

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 3/16, LES NOTABLES

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 4/16 , LA NUIT DE NOCES

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 5/16 , RÊVERIES DE MEUNIER

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 5/17 , RÊVERIES DE MEUNIER

A quelque temps de là, Pierre de loin admire les rondeurs de sa femme, ils en ont maintenant la confirmation, ils vont être parents. Il espère bien sûr que cela sera un garçon, l’idée d’avoir une fille ne lui sourit pas.

Sa beauté juvénile est maintenant magnifiée par la grossesse, sa poitrine est une invite à l’amour et le reste est à l’avenant. Pierre la poursuit sans cesse de ses assiduités, elle s’échappe de ses grosses pattes en riant, elle est de plus en plus amoureuse et le désir également sans cesse.

Lui se régale d’avance à l’idée qu’elle vienne à lui dans le moulin, il est seul en ce moment, le falin est parti chez des clients et son père qui sert de garde moulin est parti boire une chopine chez Rouault le cabaretier. Il vient de mettre du grain dans la trémie, les meules tournent au rythme des rouages, le vent est stable en sa direction et les ailes du moulin, il en est sûr ne s’affoleront pas. Il a donc du temps pour lui et pour elle.

Seulement elle ne l’entend pas de cette oreille et se dirige vers le moulin qui se trouve de l’autre coté du chemin presque en vis à vis du sien.

Entre meunier on se jalouse un peu, on s’observe, mais l’on se fréquente. La Robine comme on la nomme est enceinte du Gaspard Robin, les deux femmes porteront ensemble et s’aideront mutuellement, comme les maris s’entraident en cas de coup dur sur les moulins.

Il ne reste plus à Pierre qu’à laisser libre cours à son imagination ou plutôt à ses souvenirs.

Lorsqu’il a quitté son village de l’Île d’Elle il n’était qu’un enfant, mais pourtant il aimait cet endroit de terre et d’eau, il aimait la Sèvre qui cheminait lentement depuis Niort pour se diriger vers le Braud, il aimait avec les autres gamins jeter des pierres dans l’onde profonde et voir les ricochets strier la surface limpide des eaux. Des heures durant il regardait les multiples barques qui amenaient au port de Marans les fruits du labeur de la fourmilière des marais et de l’arrière pays.

Il aurait aimer être l’un de ces marins qui sur ces coursier des mers s’engageaient par le fleuve dans la baie de l’aiguillon puis après le pertuis Breton dans les profondeurs océanes.

Mais il se savait rivé aux ailes tournantes des moulins et à la mouture des grains de blé, il n’en avait pas forcément le regret mais juste un désir de voyage chevillé au corps.

On lui avait conter l’étrange histoire de cette région autrefois sous les eaux, aux temps ou l’ile-d’elle était une ile, ainsi que Maillezay, la Ronde, Taugon, Damvix, Irleau, Charron, Saint Michel en l’herm et bien d’autres.

Au temps où Marans était forteresse sur un promontoire rocheux surplombant l’océan et où la Vendée, la Sèvre, le Mignon et l’Autize n’étaient pas que simples filets au maigre courant.

Bien sûr il ne restait rien de tout cela, les hommes ayant œuvré pour structurer le paysage et assécher les terres. Mais il en restait, les vastes canaux et une atmosphère que chérissait Pierre. Il avait même haïs son père d’avoir fait choix de partir et de s’enterrer dans ce tout autre.

Benon c’est la forêt, l’ancienne et vaste qu’on nommait Argenson et qui sombre et noire allait jusqu’au fin fond de l’Angoumois. Les moines défricheurs ont fait un massacre de cette sylve antédiluvienne et primitive, mais les lambeaux restant inquiéteront toujours Pierre. Il est toujours l’enfant des marais et ne sera jamais celui des bois.

A chaque fois que ses pas le mènent vers les profondeurs de la forêt une sourde terreur l’envahit, il n’en dit rien mais son inquiétude est bien présente. Dans le bas de la Roulière près du moulin à eau, un chemin sombre et bordé d’arbres tutélaires,  s’enfonce dans la masse compacte des taillis comme le Styx  s’engouffre dans les enfers.

Sa femme le moque de sa peur lorsqu’il longe à sa droite la terre des Galipaudes, et à sa gauche celle des Palènes. Elle le traite de pissouse, de fillette, de pleutre. Lui s’en agace et un jour pour lui prouver sa vaillance l’a trainée au bout du bout,  là haut sur la motte aux loups. Elle fut surprise de le voir aller aussi loin et en rigola encore. Pris d’une colère de se voir démasquer il voulut marquer encore plus sa puissance d’homme n’ayant peur de rien . Alors sur un simple tapis de mousse, croyant entendre le hurlement de quelques meutes, il a tenté d’exorciser sa propre terreur en possédant celle qui se moque. Marie surprise se débattit un peu mais pas trop, partagée entre une envie de son mâle et la honte de se retrouver les fesses à l’air  avec comme témoins le soleil et les nuages. Elle cria parce qu’il lui fit mal mais cria aussi de plaisir , tout se mélangea en elle.  Lui  l’orgueilleux, lorsque repu de son geste, il la laissa remettre de l’ordre dans sa vêture, vit  dans ses yeux de la haine .

Avait-il vaincu sa phobie des hautes futaies et des ronciers grouillants de vie sauvage, rien en fait n’était moins sûr.  Marie outragée par le corps de son homme, révoltée par ce bestial dénouement pleura de chaudes larmes sur le chemin du retour.

L’enfant qui va lui naitre est peut être celui de la forêt, celui de sa réconciliation avec la nature qui l’entoure. Superstitieux il redoute un drôle à tête de loup, une gamine velue ou monstre à trois pattes. Il regrette aussi la légèreté de sa femme lorsqu’elle se donnait à lui avant cela, mais il en est sûr après la naissance tout reviendra comme avant.

 

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 4/17 , LA NUIT DE NOCES

Le temps est maintenant venu de se sauver et d’emmener Marie. Ils font cela discrètement mais une bande d’échauffées leur témoigne crûment des encouragements qui gênent la prude Marie.

C’est dans une maison prêtée que le couple cache ses premiers envols. Marie qui n’a pas eu beaucoup d’indices sur le comportement qu’elle doit avoir est empruntée au possible. Jamais elle n’a vu d’homme nu, jamais n’a montré le moindre bout de chair à quelqu’un et n’a qu’une vague idée de comment elle va s’y prendre. Elle a peur de l’acte et de sa possible sauvagerie et elle a peur de décevoir Pierre. Alors timidement elle ôte ses vêtements, protégée par l’obscurité, ne gardant que sa chemise . A travers la lumière blafarde de la chandelle elle aperçoit la nudité de son mari. Ses joues s’empourprent, ses jambes vacillent, mais un curieux désir monte en elle.

Pierre s’en doute pressé ne tarde guère à couvrir sa possession de toute sa fougue.

Il n’est guère expérimenté même si il ne se l’avoue pas. Sans caresse, sans douceur, Marie est déflorée. Son devoir elle l’a effectué sans baragouiné, elle fait partie de la communauté des femmes, celles qui sans rien dire, sans rien souffrir doivent faire don de leur corps pour la satisfaction maritale.

Après quelques va- et- vient son homme ne bouge plus, a t’ il fini sa besogne. Oui car il se porte sur le coté comme repu par un trop copieux repas. Elle aimerait pouvoir parler, pouvoir exprimer son ressenti, mais Pierre dort, elle sent sa poitrine se soulever. Doucement elle tend sa main vers le corps de celui qu’il lui a pris sa virginité. Osera t’ elle découvrir ce corps qu’elle ne  croit pas encore à elle.

Elle est enfin toute de témérité, ses doigts rencontrent la poitrine de Pierre, elle descend lentement et vient pudiquement s’arrêter à la naissance de la toison de son compagnon. L’effleurement de ce jeune corps puissant la rend bizarre, lascive, comme fatiguée, prise de langueur, mais bientôt ce simple geste met en émoi le corps faiblement assoupi de Pierre.

Elle sent juste sous ses doigts vivre une force virile, elle ne franchit pas ce soir là le cap du toucher mais Pierre cette fois semble prendre en compte son désir à elle. Il se fait câlin et doux, ne la prend pas comme on prendrait une forteresse, mais partage sa jouissance. Ils dorment tout deux enlacés quand un tintamarre les tire de leur félicité.

Les braillards de la noce sont là , ils veulent vérifier si Pierre n’a pas l’aiguillette nouée et si la légitimité de l’union ne peut être contestée. L’alcool a inhibé les comportements, les propos sont salaces, Marie a honte d’être en chemise devant des hommes. Jean son beau frère un gamin à peine pubère est tout guilleret, il parle haut comme un homme, exige de voir les draps. On chante, on crie, on tape sur des chaudrons , la couverture est soulevée, Marie pleure presque, une jolie tache rougeoyante se dévoile à la vue enthousiaste du groupe. La voilà en chemise semi nue dansant une ronde avec Jean Parpay, l’arpenteur, son jeune beau frère, le fils de son cousin André et quelques pucelles de ses amies qui elles n’ont pas encore rejoint la communauté de celles qui l’ont fait. C’est attesté, elle est femme, Pierre est homme, elle n’a plus honte. La journée est encore longue, elle aide au service pour cette deuxième journée de repas. Mais elle doit aussi danser, boire, manger, remercier les invités. Elle est heureuse mais a hâte de se retrouver seule avec Pierre.